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Les Carnets de Philippe Truong
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Les Carnets de Philippe Truong
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8 avril 2006

Collection Duong-Hà : Tambours de Dong Son en bronze (Ve-IIe s. av. J.C.)

tambourLa première dynastie vietnamienne, celle de Hông Bàng, débute avec Lac Long Quân, fils de Kinh Duong Vuong, descendant à la quatrième génération de l'empereur mythique chinois Shennong et d'une femme de la race des Dragons. En s'unissant à l'Immortelle, Au Co, il eut cent garçons, les ancêtres des Bach Viêt, ou Cent Yue1.

La légende veut qu'un jour ce couple doive se séparer car "l'eau et le feu se détruisent". La moitié des enfants suivit leur mère dans les montagnes et l'autre accompagna leur père sur les côtes de la mer Orientale2. L'aîné des garçons de Lac Long Quân régna sous le nom de Hùng Vuong, au début du VIIe s. A.C., et créa le royaume de Van Lang. Le berceau de cet état se situerait dans la province de Vinh Phu.

La fondation de l'Etat s'est déroulée en de multiples étapes : d'une fédération de tribus, de régions, pour parvenir à une union territoriale. Ce regroupement est du à l'ancienneté de sa culture, héritée de Phùng Nguyên (dont le site éponyme se situe à dix kilomètres au sud-ouest du temple consacré aux rois Hùng). Elle débute par le création du clan Van Lang dont le domaine s'étend du pied du mont Ba Vi jusqu'aux contreforts de Tam Dao, sillonné par le Fleuve Rouge, à la fin de l'âge de pierre, sous le civilisation de Phùng Nguyên (XXe-XVe s. A.C.), puis se poursuit par un regroupement des quinze tribus Lâc Viêt durant les cultures de Dông Dâu et de Go Mung (XVe-VIIe s. A.C.), perceptible dans les sites de Lung Hoà (prov. de Vinh Phu) et de Go Bông (prov. de Vinh Phu), pour aboutir à la création du royaume de Van Lang (VIIe-IIe A.C.) sous Dông Son.

Les datations des différentes cultures sont confinées par la méthode d'analyse au carbone 14. Un échantillon prélevé à Tràng Kenh (prov. de Hai Phong) donne comme date 1455±100 B.C. pour celle de Phùng Nguyên. Celui extrait dans le site éponyme de Dông Dâu, dans la couche inférieure (niveau phungnguyênien, phase finale) confirme le résultat précédent: 1380±100 B.C. En ce qui concerne la culture de Dông Dâu, nous avons une datation à partir d'un morceau de charbon retrouvé à Vuong Chuôi (prov. de Hà Son Binh) : 1120±100 B.C., tandis que le site de Vinh Quang (prov. de Hà Son Binh), 1095±100 B.C., permet de définir celle de Go Mun. Le mobilier archéologique contribue à définir clairement le long processus d'élaboration culturelle du pays, à travers une évolution sans discontinuité de Phùng Nguyên (XVIIIe s. B.C.) à Dông Son (Ve-Ier s. B.C.) en passant par Dông Dâu (XIIe s. B.C.) et Go Mun (Xe s. B.C.), soit du Néolithique final au début de l'Age de Fer.

La culture de Dông Son (Ve-IIe s. A.C.) marque le début de l'Age de fer. Si la céramique continue la tradition de Go Mun tant pour les formes que pour la technique de fabrication, elle sonnait son déclin en faveur du métal. Cependant, certaines pièces révèlent une influence chinoise de l'époque des Royaumes Combattants (Ve-IIIe s. A.c.). La céramique de Duong Cô semble plus belle et plus solide, montrant une évolution dans la maîtrise de la matière première (le sable et les déchets organiques sont parfaitement épurés).

La métallurgie du bronze atteint son apogée. Ces productions sont largement répandues dans la vie courante. Leurs fonDes sont variées et leur décoration riche. La matière première est un alliage de cuivre, plomb et étain dont les proportions varient selon l'objet fabriqué, tambour, pointe de flèche ou récipient. Les outils en bronze sont des houes, des socs de charrues, des aiguilles, des racloirs. Les récipients sont des vases à couvercle, des situles, des hottes, des pots, des bassins, des bols, des gobelets, des mannites. Les armes dongsoniennes se remarquent par la richesse et l'originalité de leurs fondes. Les haches de guerre comptent à elles seules plus de dix types différents. La collection Duong-Hà renferme deux variétés de haches, sans oublier des pointes de flèche ou de lance, des poignards, des bracelets et des bagues. Mais les plus belles représentations de l'art métallurgique dôngsonnien est, incontestablement, le tambour dont la taille, la richesse et la finesse d'exécution du décor, la subtilité de la ciselure, frisent la perfection. Toute la vie sociale et religieuse du Lâc Viêt s'est cristallisée autour de cet instrument typiquement vietnamien et non chinois. Insigne du pouvoir et de prestige réservé aux chefs, il est transmis de génération en génération, précieusement conservé dans des temples ou inhumé avec certains morts afin de garantir leur statut social dans l'au-delà. Parfois, ils sont remplacés par des tambours miniatures dans les tombes. Leur rôle purement symbolique consistait à rallier les âmes autour de quelques grands chefs d'outre-tombe.

Dix huit rois Hùng se succédèrent sur le trône de Van Lang. Le dernier souverain, Hùng Duê, fut vaincu par Thuc Phan qui prit le nom de An Duong Vuong (258-208 A,C). D'après le Linh Nam chich quai3, "Recueils Merveilleux du Linh Nam", datant du XVe s. : "An Duong, roi du Au Lac, était originaire de Ba Thuc. Il se nommait Phan. Son nom de famille était Thuc. Un de ses ancêtres avait jadis demandé la main de My Nuong, fille du roi Hùng. Econduit, il avait gardé rancune. Phan voulut venger son ancêtre. Il envoya une armée contre le roi Hùng et détruisit le pays Van Lang". D'après un autre conte Tày de Cao Bàng, Thuc Phan serait le roi du Nam Cuong, domaine qui s'étendait à l'est du royaume de Van Lang, dans la région actuelle du Cao Bàng, à la frontière chinoise. Ce territoire est peuplé de Tây Au, une des tribus issues des Cent Yue. Victorieux, An Duong Vuong réunit les deux tribus en un royaume qu'il baptisa Au Lac, contraction de Tây Au et Lac Viêt et fixa sa capitale dans la citadelle de Cô Loa.

1. Plateau d'un tambour de type Heger I, Bronze,

tambour__d_tail_Instrument de musique chargé de puissance magique et scandé lors des évènements de la vie du groupe (fêtes, cérémonies, rassemblements...), il était lié à tous les niveaux de l'organisation sociale et de la pensée mythique. Il constitue le symbole de la vertu fécondante des eaux de pluie, le conservateur de la fertilité et de la pérennité.

Le bronze utilisé est un alliage de cuivre, d'étain et de plomb, plus facile à fondre, plus souple, plus solide et de meilleure qualité que la combinaison cuivre et plomb, ou cuivre, plomb et zinc. Sa composition révèle :

- cuivre 60,82 à 71,71%,

- étain 4,90 à 10,88%,

- plomb 14,25 à 26,69%4,

Le décor du plateau5 est constitué en huit registres concentriques, séparés par de minces filets:

- au centre, d'un soleil à dix branches, en relief, dont l'espace entre chaque rayon est finement ciselé d'un motif de plume de paon. La présence de cet astre solaire atteste l'usage de ce tambour lors du culte du soleil, générateur de la vie universelle.

- en 2 et 6, de cercles à tangente, motif propre à la culture dôngsonnienne ;

- en 3, 5 et 7, de hachures verticales et parallèles ;

- en 4, de quatre oiseaux aquatiques, volant dans le sens inverse de l'aiguille d'une montre. Leur vol migrateur représente la marche du temps et celle des saisons. De plus, ces échassiers symbolisaient le Viêtnam dont le nom du royaume, Van Lang, provient de l'ancien viêt blang ou klang, sorte d'oiseau qui, chez les montagnards, est vénéré sous forme de totem et, chez les muong, considéré comme l'un de leur ancêtre. De même que le nom de la capitale, Mê Linh, est issu de mling, une grue, et que le nom du clan, Hông Bàng, désigne un oiseau aquatique, proche du héron.

- en 8, d'un espace vierge.

Ainsi, le décor de notre plateau est comparable à celui de quelques tambours découverts au Vietnam, comme:

- tambour de Dông Son, tombe n°1 (D. 44 cm, ARII, III, pl. 9) qui montre en 1, un soleil à dix rayons; en 2, des motifs en "P"; en 3 et 7, des cercles tangentes; en 4, 6 et 8 des traits en dents de peigne; en 5, quatre oiseaux; en 9, d'un espace vierge; de plus, entre les rayons du soleil, figurent le motif plume de paon. Il est classé par Janse dans le type Heger 1.

- tambour de Dông Son V6 (D. 35,5 cm, RAA, l, pl.XII-c) montre en 1, un soleil à huit rayons; en 2, 5 et 7, des traits en dents de peigne; en 3 et 6, des cercles tangentes; en 4, quatre oiseaux; en 8, d'un espace vierge.

- tambour de Phuong Tu7 (D. 44,5 cm) ayant en 1, un soleil à dix branches; en 2 et 3, des cercles

à tangente; en 4, espace vierge; en 5, quatre oiseaux; en 6 et 7, des traits en dent de peigne.

Ces deux tambours montrent, dans l'espace délimité entre chaque rayon, de simples chevrons au lieu du motif de plume de paon. Cependant, ce dernier motif figure sur certains tambours comme Lang Vac III (aujourd'hui au Département Culturel de Nghê Tinh) ou celui de Tân Doc (Département Culturel de Hà Son Binh).

Grâce à son ornementation spécifique, à la présence des motifs à peigne, ainsi qu'au fragment du tore qui subside, nous pouvons classer ce tambour dans le type Heger 1, groupe B (ou série III, selon le classement). Cette catégorie est la plus ancienne et "appartient seul à l'époque de Dông Son, c'est-à-dire aux derniers siècles A.C."8.

De grande dimension, sa caisse se compose de trois parties bien nettes, d'une base tronconique, d'un corps cylindrique effilé, et d'une tore bombée sur laquelle repose le plateau qui, dans ce cas, ne dépasse jamais la partie supérieure de la caisse. La hauteur du corps est plus grande que celle du tore. L'indice de proportion entre le diamètre du plateau et la hauteur du tambour varie entre 1 et 1,20. A l'exception de la base tronconique, toutes les sections de la caisse, ainsi que le plateau du tambour, sont richement décorés.

2. Tambour miniature.

tambour_miniatureCe tambour miniature9 est caractéristique du type Heger I, avec son tore convexe sous le plateau, les deux paires d'anses verticales, et un pied largement évasé. Son décor montre une simplification des grands modèles. Au centre du plateau figure une anse verticale.

De tels tambours miniatures furent exhumés au Nord Vietnam et dans la province du Thanh Hoa. Ils servaient probablement de substituts des grands tambours dans les tombes des seigneurs Lac entre le IIIe siècle A.C. et IIe siècle.

La découverte à Làng Vac en 1981 d'un tambour miniature muni au centre d'une anse verticale portant à l'intérieur un petit battant suggère qu'il puisse servir de clochette.

1 Les chercheurs vietnamiens rejettent cette appellation qui est la traduction du chinois Lo-Yue. et préfèrent celle de "peuple vanlangien". Ces Lâc Viêt font partie d'une entité ethnique appartenant au groupe Austoasien (ou Paléo Austoasien). Ils sont les ancêtres des kinh (nous préférons ce terme à celui de Viêt qui est trop souvent confondu avec vietnamien, habitant du Vietnam), des muong et autres races vivant dans les montagnes. Considérés par les chinois comme "peuple barbare", c'est-à-dire n'appartenant pas à la race des Han, ils sont tour à tour désignés par Yue dans les textes datant du Printemps et Automnes (VIIIe-Ve s. Rc.) ou par Cent Yue à partir des Royaumes Combattants (Ve­Ille s.B.c.). Les plus importants tribus qui forment les Cent Yue sont les Dong-Yue qui occupaient le Zhejiang; les Min-Yue, le Fujian; les Nan-Yue. le Guangdong; les Xi-Ou (Au Viêt) qui vivaient dans le Guangxi et dans les montagnes frontalières du Nord Viêtnam; et enfin les Lo-Yue (Lâc Viêt) qui séjournaient dans la région septentrionale du Viêtnam. Ces Au Viêt sont les ancêtres des nùng. des tây et proches parents des thaï.

2 Notons que les Tây Au, peuple vivant dans les montagnes de la Chine méridionale et du Vietnam septentrional portent le nom d'Au Co qui, selon la tradition, s'est retirée avec ses fils dans les hauteurs et dont ils sont les descendants. De même que les Lac Viêt, qui séjournaient sur le littoral, optent pour le patronyme de Lac Long Quân.

3 TRAN Thê Phap, LE Huu Mue (trad.), Linh Nam Chich Quai, Saigon, Khai Tri, 1961, p.70.

4 HEGER F, Alte metaltrommeln aus Südostasien, Leipzig, 1902, p.143.

5 Plateau d'un tambour de type Heger I, culture de Dông Son, Ve-lle s. AC., bronze, D. 41 cm, collection Duong-Hà, Hô Chi Minh Ville, Vietnam.

6 Découvert en 1936, à Dong Son V (prov. du Thanh Hoa),dans la tombe n°3, fosse III, il est actuellement au Musée Cemuschi, Paris.

7 Découvert en 1967 à Phuong Tu (prov. de Hà Son Binh), il est conservé au Musée Nation de l'Histoire du Vietnam, Hanoi.

8 BEZACIER Louis, Manuel d'archéologie d'Extrême-Orient, tome I : Le Vietnam, Paris, ed. A.&J. Picard, 1972, p.186.

9 Tambour miniature de type Heger I, culture de Dông Son, IIIe-IIe s. AC., bronze, collection Duong-Hà, Hô Chi Minh Ville, Vietnam.

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