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Les Carnets de Philippe Truong
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Les Carnets de Philippe Truong
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3 mai 2006

Le dragon giao long Ly

3._dragon_ph_t_tich_ly__1057_Sous des Ly (1010-1225), le dragon devient, avec la fleur de lotus, les deux motifs décoratifs les plus usités et le plus souvent associés1. Il reste universel et ne subit aucune modification qu'il figure sur les palais royaux ou sur les pagodes comme à Phât-Tich (prov. de Hà Bac) construite en 1057, sur le tour-stûpa de Chuong Son (prov. de Nam Hà), érigé en 1108, sur la colonne de la pagode de Giam (prov. de Hà Nam) ou de Bac Thao (Hanoi), qu'il soit sculpté sur la pierre, gravé dans du bois, modelé en terre cuite.

Le giao long Ly est différent de son homologue chinois2. Cet animal hybride, mi-serpent mi- saurien, possède une tête proportionnée au corps et coiffée d'une crête en forme de "flamme" dirigée vers l'avant, une crinière flottant au vent dans le sens inverse et ondulant comme une vague. Le front est orné de motifs "S"3. Le long corps serpentiforme qui se rétrécit vers la queue se love en de multiples courbes. Ses ondulations se présentent sous forme d'une suite de poches annelées régulières. Le dos est recouvert d'écailles de poisson tandis que le ventre est moucheté. Les quatre pattes puissantes sont armées de trois griffes. Les pattes antérieures, dirigées vers l'avant, cherchent à saisir le feu sacré tandis qu'une touffe de poils s'étire vers l'arrière. Cette conception particulière à cette dynastie lui confère une légèreté et une grâce unique. De plus, il émane de cet animal douceur et bonté.

1._tuile_ronde_dragon1Représenté exclusivement de profil, il est placé dans des cartouches rectangulaires, circulaires ou en forme de feuille de l'arbre Bodhi, où il se déploie et occupe entièrement l'espace. Il est représenté parmi des rinceaux stylisés ou des frises de vagues, de montagnes et de nuages4, attestant ainsi que le giao long vivait aussi bien sur terre, que dans l'eau ou dans le ciel.

On retrouve sur à la pagode de Nô Xa (prov. de Nam Hà), deux décors de dragons qui témoignent de leur symbolisme bouddhiste. Le dragon portant un bol de riz évoque un passage de la vie terrestre de Bouddha5. La légende veut qu'assis toute la nuit sous l'arbre de Bodhi (Ficus religiosa), le prince Saddharta reçoive l'Illumination. Au petit matin, les Rois Divins, venus des quatre points cardinaux, affluèrent, portant chacun un bol de riz que les serpents du Souverain de l'Ouest s'avancèrent pour l'offrir à Bouddha. Ce sujet, rarissime dans l'iconographie bouddhique, ne se rencontre nulle part ailleurs.

2._ant_fixe_dragon_bodhi1Le second, le plus usité, montre les "dragons rendant hommage au feu sacré" et fait référence à la crémation de Bouddha, après son entrée dans le Nirvâna. Lorsque le corps de Bouddha mis en bière fut déposé sur un bûcher de bois odorants, les princes Mallas s'approchèrent avec des torches pour l'allumer. Mais, ils ne parvinrent à faire jaillir le moindre feu. Ce n'est que lorsque Mahâkâçyapa a rendu hommage aux pieds du Bienheureux, le bûcher s'alluma spontanément pour ne s'éteindre que grâce à l'intervention des pluies célestes et des eaux souterraines. Ce thème est souvent confondu avec "les dragons rendant hommage à la lune"6. De plus, la référence au bouddhisme est accentuée à la forme du cartouche en feuille du Ficus religiosa7 dans lequel sont gravés ces dragons.

Le Bouddhisme occupa un rôle politico-socio-­religieux primordial durant la dynastie des Ly. L'empereur Ly Thai Tô, accédé au pouvoir grâce à l'aide du bonze Van Hanh, érigea le bouddhisme en religion d'État et nomma leurs bonzes dans les postes élevés. Fervents bouddhistes, ces successeurs entourèrent de faveurs constantes et de privilèges multiples. Ils offrirent de vastes domaines et de multiples serviteurs aux temples qu'ils firent bâtir. Ly Thai Tông fonda à lui seul en cinquante monastères. Si les rois Ly avaient utilisé la religion comme instrument de gouverne­ment, leur foi est sincère et a permis à la population de vivre pacifiquement.

4._st_le_de_vinh_lang1Les monastères bouddhistes ne furent pas seulement des centres religieux mais aussi des centres culturels actifs. L'art des Ly fut profondément imprégné de l'iconographie bouddhique. Le dragon Ly est une interprétation du Naja indo-cham à qui il aurait emprunté certains détails. Cependant, si le Naja n'est qu'une simple représentation du cobra royal, le dragon Ly est une véritable création humaine et incarne probablement l'Esprit Serpent, très vénéré dans la forêt vietnamienne. De plus, comme les pouvoirs spirituels et temporaires sont confondus et comme le dragon symbolise autant Bouddha que le roi. Sa représentation divinisée, sacrée respecte des règles strictes et ne subit aucune modification.

Ces dragons Ly furent si considérés que leur représentation persista jusqu'en 1433 comme sur le stèle de Vinh Lang (Lam Son, Thanh Hoa).

1 Tuile, grès revêtu d'une fine couverte ivoire grisâtre, dynastie des Ly, XIe-XIIe siècle, D. 14,50 cm, Musée National d'Histoire du Viêt-Nam, Hanoi.

2 D'après le Han shu, le jiaolong devient un dragon à l'âge de 500 ans. Il s'élève dans les nuages et plonge dans l'eau. Ses transformations sont multiples. Sa longueur est celle d'un serpent, son cri est semblable au buffle. Sa tête est petite, il a quatre jambes. Son cou est orné d'un goitre blanc. Les os de son corps sont bleu. Le dictionnaire chinois sous Kangxi définie cet animal comme un "dragon aquatique; il a la forme d'un serpent, mais avec quatre pattes et un cou grêle; autour du cou il y a un collier blanc; ses oeufs sont pareils à des jarres, de la contenance de dix à vingt boisseaux ; le mâle et la femelle s'accouplent par les sourcils d'où on nom jiao; sa taille et telle qu'il peut avaler un homme. On dit que le poisson tigre se transforme en giao, lorsqu'il est devenu gros ; on dit aussi que tous les poissons, lorsqu'ils ont atteint le poids de deux mille livres se transforment également en jiao".

3 Le motif "S" apparaît sur les céramiques de Phùng Nguyên (XVe-XIIe s. av. J.C.) et Dông Dâu (XIIe-Xe s. av; J.C.) comme sur les tambours de bronze de Dông Son. Symbolisant le tonnerre et de la foudre, il représente la prière du peuple agriculteur pour une pluie propice. Le dragon lui aussi conserve cette valeur emblématique puisqu'il est responsable de la formation des nuages et dispensateur de la pluie. Leur rencontre est devenue signe de bonne augure comme nous le témoigne ces vers de Nguyên Công Tru :

Rông mây khi gap hôi ua duyên

Dem quach ca so tôn làm sô dung

("Lorsque le dragon rencontre les nuages, ils se plaisent,

Prenons sans hésiter nos réserves pour les consumer").

4 Elément d'architecture, pierre grise, temple de Phât Tich, dynastie des Ly, 1057, L. 43 x 22,50 cm, Musée National d'Histoire du Viêt-Nam, Hanoi, LSb 19776.

5 On rencontre quatre passages où le serpent apparaît dans la vie de Bouddha

- A la naissance de Siddhârta, lorsque deux (ou neuf suivant les textes) dragons ou serpents se manifestèrent ; le premier cracha de l'eau tiède tandis que le second de l'eau froide pour baigner le jeune prince.

- Sur le chemin de Bodh-Gayâ, les rois des poissons et des serpents, ainsi que leurs ministres vinrent au devant du prince Siddhârta pour rendre hommage au Sauveur de l'Espèce.

- Le serpent offrant du riz.

- Après avoir reçu l'Illumination, Siddhârta, devenu Bouddha, resta assis encore un certain temps sous l'arbre. A la sixième semaine, une tempête s'abattit. Le roi des Najas, Muchalinda, surgissant en dessous de la terre, utilisa son corps pour former un trône à trois étages et sa tête se subdivisa en sept pour servir de parasol. Ce passage est le plus populaire dans l'iconographie bouddhique surtout dans les pays du Sud-Est asiatique comme la Birmanie ou le Cambodge où Jayavarman VII (r. 1181-1219) l'avait adopté comme la représentation suprême de Bouddha.

6 Ce décor n'apparaît que sous les Lê et Nguyên, s'inspirant de l'iconographie chinoise. La perle, le feu sacré, le tonnerre, la lune ou le soleil sont les multiples désignations de cette boule enflammée en Chine. Au Viêt-Nam, ce motif est surnommé" luong long triêu nguyêt, "dragons rendant hommage à la lune", lorsque l'astre est représenté par un disque à arêtes lancéolées et irrégulières, entouré de deux dragons dans une attitude respectueuse qui, en tant qu'habitants du ciel, l'accompagnent dans sa course. Certains ont vu dans ce décor une allusion à la fable chinoise du dragon qui veut dévorer le soleil au moment de l'éclipse, d'où la confusion en désignant ce motif par soleil. Une autre représentation montre deux dragons affrontés se disputant un disque enflammé. Il est surnommé Luong long tranh châu, "deux dragons se disputant la perle". Ils n'ont plus une attitude respectueuse, mais ont la patte de devant levée et les griffes ouvertes. A la Porte du Midi de Hué, parmi les dragons rendant hommage tantôt à la lune tantôt à la gourde de l'Immortalité, figurent d'autres regardant vers les quatre directions. Ils illustrent une phrase chinoise du IIe siècle av. J .C, "le dragon plane dans le ciel du midi" pour désigner la souveraineté et la protection impériale.

7 Antéfixe, pierre grise, dynastie des Ly, 1057, provenant de la pagode de Phât Tich, H. 26 cm, Musée National d'Histoire du Vietnam, Hanoi.

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