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Les Carnets de Philippe Truong
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Les Carnets de Philippe Truong
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15 septembre 2008

La potière Bui Thi Hy, auteur du vase de Topkapi Saray Museum

Le musée Topkapi Saray d'Istanbul renferme une importante bouteille (H. 54,90 cm), en grès porcelaineux à décor peint en cobalt sous couverte et à base chocolatée, témoignant d'une parfaite maîtrise technique et ornemental des ateliers de Chu Dau au XVe siècle.

Vase_VN_Topkapi

Cette bouteille est richement ornée de dix registres horizontales superposés, séparés par un double trait. Des panneaux de pétales de lotus, à décor en spirales, dérivées des lambrequins, rayonnent autour de la base et soulignent le galbe de la pièce. La panse est ceinte d'une large bande dans laquelle évolue un rinceau de grosses fleurs de pivoine, soigneusement et esthétiquement peint. Une seconde frise de panneaux de lotus est placée au niveau de l'épaule. Elle est composée en alternance de panneaux larges et fins, les premiers encadrant une fleur de lotus émergeant des feuilles, les seconds décorés d'objets précieux. Ces trois principaux registres sont séparés par une bande laissée volontairement nue, ponctuée de temps à autre de simples volutes classiques. Le col est ceint en son centre d'un rinceau de fleurs de lotus, et autour de la base et de l'ouverture de deux frises de rinceaux classiques et de ruyi. Le reste a été délibéremment laissé vierge pour contraster, mettre en valeur et alléger le décor surchargé de la panse.

Sur l'épaule, figure une inscription en chinois : Thái Hòa bát niên Nam Sách châu tương nhân Bùi Thị Hý bút, qui peut être traduite par « 8e année du règne de Thai Hoa, district de Nam Sach, sous le pinceau de Bui Thi Hy ». Thai Hoa est le nom de règne que choisit l'empereur Lê Nhân Tong (1441-1459) en 1443. Ainsi, ce vase fut réalisé en 1450.

Cette mention est importante dans l'étude de la céramique vietnamienne car elle est la plus ancienne inscription connue jusqu'à ce jour, le nom du potier (en l'occurence une potière) et son lieu de fabrication.

Le district de Nam Sach se trouve au nord-est de l'actuelle ville de Hai Duong, sur la rive de la rivière Thai Binh. Ce centre regroupe plusieurs villages de potiers dont trois, Chu Dau, My Xa et Hung Thanh, produisaient des céramiques sous couverte, et deux autres, Linh xa et Phi Mao (Quao), ne réalisaient que des terre-cuites et des céramiques sans glaçure. A l'origine, My Xa et Chu Dau ne formaient qu'un seul et même centre. Le district de Nam Sach fut changé sous les Lê en subdivision et appartenant au district de Thanh Lam.

Chu Dau créé sous les Trân (les fouilles dans cette région avaient mis à jour des fragments de céramique datant de cette période), se développa et se prospéra sous les Lê-Mac (1500-1592). Il se spécialisa dans la production des grès porcelaineux à corps blanchâtre et à décor peint en cobalt sous couverte, destinés à l'exportation.

L'inscription Bui thi hy but suscita pendant un certain temps des interrogations. Elle pouvait se traduire par « peint par (la potière) Bui Thi Hy » (le caractère thi est communément utilisé au Vietnam pour précéder le prénom d'une fille) ou « Bui est heureux d'inscrire cette inscription ». Dans ce dernier cas le mot hy n'est plus considéré comme un prénom mais l'adjectif « heureux, content ».

Les découvertes, par Tang Ba Hoanh en 2007, des deux documents de la famille Bui confirment l'existence de cette potière, auteur du vase de Topkapi.

Le registre généalogique de la famille Bui, actuellement conservé par Bui Xuân Nhan, date de 1932. Il a été recopié par le père de l'actuel possesseur d'après une version de 1832.

Le plateau en cuivre appartient à un autre membre de cette famille, Bui Duc Loi. D'après les dires de son père, Bui Dinh Dau, l'inscription sur ce plateau fut réalisée par son père, Bui Duc Nhuân, en 1932. Ce dernier avait retranscrit le texte figurant sur la stèle de dame Bui Thi Hy pour le préserver d'une éventuelle destruction de la guerre. Le texte, composé de 379 caractères sino-vietnamiens, a été rédigé par le second époux de Bui Thi Hy en 1500 (2e année de Canh Thông).

D'après ces deux documents, Bui Thi Hy est l'aînée des deux enfants de Bui Dinh Nghia, fils du général Bui Quoc Hung de la province de Son Tây. Né en 1387, Bui Dinh Nghia émigra dans le hameau de Quang Anh (actuellement hameau de Quang Tiên, commune de Dông Quang, district de Gia Lôc, province de Hai Duong) en 1407 pour fuir l'invasion des Ming. Il eut deux enfants, l'aînée Bui Thi Hy, née en 1420, et le cadet Bui Dinh Khoi, né en 1423.

Bui Thi Hy est décrite comme une femme douée en littérature, calligraphie, en peinture et, même, en arts martiaux. Elle s'est déguisée en homme pour pouvoir passer les examens mais fut découverte et expulsée lors du concours de la capitale.

Elle épousa, en premières noces, Dang Si, propriétaire d'un atelier de céramique à Chu Dâu où elle s'initia à cet art. Elle se révéla une excellente potière et ce fut, dans l'atelier de son époux, qu'elle peignit en 1450, à l'âge de 30 ans, le décor du bouteille du musée Topkapi. Dans son éloge funèbre, rédigé par son second époux, elle fut mentionnée comme une bonne gestionnaire, qui négocia l'exportation de ses céramiques vers le Japon, la Chine et vers « l'Ouest ».

En 1452, accompagnée de son mari, elle se rendit à Quang Anh pour aider son frère à créer son atelier de céramique, situé au nord-est du propriété familial, à côté du canal de Dinh Dao. Cet emplacement permit de transporter facilement les productions par voie fluviale vers Chu Dâu ou vers l'étranger. Cet atelier collabora avec Chu Dâu pour réaliser la vaisselle pour la Cour.

Après le décès de son mari au cours d'un naufrage en mer, elle épousa en secondes noces Dang Phuc, lui-aussi originaire de Chu Dau.

Agée et sans descendance, Bui Thi Hy retourna vivre dans la maison familiale de Quang Anh où elle fit de nombreuses dons charitables. Elle décéda en 1499, à l'âge de 80 ans.

S'intéressant au travail de son aïeule, Bui Duc Loi , l'un des descendants du frère de Bui Thi Hy, se lança dans la recherche des productions de sa famille et, en particulier, aux céramiques découvertes autour de l'emplacement de l'ancien atelier de Quang Anh.

Le 16 mai 2007, Bui Duc Loi présenta à Tang Ba Hoanh un antéfixe en forme de lion, en terre cuite et portant en dessous l'inscription « Fabriqué par Bui Thi Hy à Quang Anh, la première année de Quang Thuân (soit 1460) ».

Bui_Thi_Hy_lion

En juillet de la même année, il découvrit une assiette ayant un accident de cuisson et abandonné sur place qui porte sur la base la mention : « Fabriqué par Bui Thi Hy et son frère Bui Khoi a Quang Anh, district de Gia Phuc, la première année de Dien Ninh (1454) ».

En dehors de la confirmation de l'existence de la potière Bui Thi Hy et des informations sur sa vie, son stèle corrobore la présence d'une route commerciale directe avec le Japon, la Chine et même les pays de l'Ouest. En réalité, les marchands vietnamiens ne dépassaient rarement la détroit de Malacca. Tomas Pirez signale leur présence à Sumatra entre 1512 et 1515. Les marchandises furent prises en charge par des marchands arabes (dont la famille Karimi du Caire) et transportées vers les ports d'Ormuz, de Julfar ou de Siraf, qui concentraient toutes les commerces vers l'Arabie, la Perse, la Syrie, la Turquie, L'Egypte et même la Tanzanie. Des vaisselles ou des tessons retrouvés das ces contrées confirment l'existence l'existence de cette route commerciale dont la potière Bui Thi Hy avait contribué d'une manière active.

Ainsi, Bui Thi Hy ne fut pas seulement un maître-potier mais une femme remarquable pour son époque qui avait dirigé l'atelier de son époux à Chu Dâu et négocié directement avec les étrangers du commerce de la céramique.

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