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Les Carnets de Philippe Truong
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Les Carnets de Philippe Truong
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20 février 2010

LE SEIGNEUR TIGRE

Les Vietnamiens éprouvaient une grande crainte pour le tigre et, par respect, ne prononçaient  jamais son nom, cộp, hổ ou hùm, mais ne le désignaient que par ông (« Monsieur ») ông thầy (« Maître »), mệ (« Prince »), ngài (« son Excellence, sa Seigneurie »). Louis Cadière dans « Croyances et dictons populaires des la vallée de Nguôn Son, province de Quang Binh » signale qu’un gardien des tombeaux royaux de Huê le désignait par trời (« le Ciel ») car il a reçut son mandat du Ciel, celui de Souverain des Forêts.

Il est vénéré comme tel et, avant d’entreprendre la moindre action sur son domaine (allant de la capture d’un gibier à l’abattage d’un arbre), les Vietnamiens lui offraient un sacrifice. Lorsqu’ils tuaient un gibier à la chasse, ils tranchaient aussitôt un quartier et le laissaient sur place comme tribu au roi de la jungle.

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Oratoire d’un Tigre, XIXe s.

Le thème du tigre souverain des forêts figure sur les céramiques à décor incisé et peint en oxyde de fer sous la dynastie des Trân. Contrairement aux monochromes Ly-Trân qui portent un décor classique et religieux, sur les céramiques à décor incisé et peint en oxyde de fer, les potiers adoptèrent un répertoire plus libre et plus populaire. Ils reproduisaient des scènes de la vie quotidienne comme des combats entre guerriers, des chasses, ainsi que des scènes naturelles comme des échassiers parmi les étangs de lotus, des éléphants et des tigres dans la forêt.

Cependant, le tigre comme sujet décoratif reste très rares. Nous n’en connaissons que deux représentations.

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Détail : Tigre sur l’une du Temple de la Littérature, Hanoi

Céramique, XIIe–XIIIe s.

L’urne du Temple de la Littérature de Hanoi montre dans la partie supérieure de cinq tigres gambadant dans la forêt et dans la partie inférieure des échassiers. La représentation est très naïve mais parfaitement reconnaissable  à sa pelure rayée.

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Urne à décor de tigres, céramique, XIIIe-XIVe s.,

Musée Guimet, Paris.

L’autre représentation figure sur l’urne du Musée Guimet (Paris). Ici aussi, l’artiste a également peint cinq tigres. Le style est plus réaliste.

Dans les deux cas, les potiers ont choisi de peindre cinq tigres. Etait-ce volontaire ? Et, dans ce cas, font-il référence aux Cinq Tigres (ngũ hổ trấn ngũ phương), qui, dans la croyance sino-vietnamienne, symbolisent les quatre orientations (Nord, Sud Est, Ouest) et le Centre. Rien ne nous permet de l’affirmer ou de l’infirmer, même si j’ai quelques doutes puisque les artistes les ont représentés dans leur milieu naturel, la forêt.

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Tigre de la pagode de Dâu (Ha Tây), fin XVIe s., estampage.

En revanche, sous es Trân, le tigre est toujours peint de profil. Une tradition qui persistera jusqu’à la fin des Lê (1788). C’est ainsi qu’il est représenté sur les socles des statues de Bouddha dans certaines pagodes bouddhistes durant les Trân, les Lê (1428-1788) et durant l’interrègne des Mac (1527-1592) et dans les maisons communales à partir des Mac.

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La chasse au tigre, Maison communale de Tây Dang (Hà Tây),

1583, estampage.

S’il subsiste des doutes quant à la valeur religieuse des tigres sur les bases des statues bouddhiques, il est évident que, dans les maisons communales, ce n’est qu’une simple représentation du Seigneur de la forêt comme en témoigne cette scène d’un homme chassant un tigre, sculpté sur la charpente de la maison communale de Tây Dang ( Hà Tây, 1583).

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Tigre de la pagode de Bai (Hà Son Binh),

Trân (1225-1400), estampage.

Les représentations d’un tigre avec la tête vue de face sont plus rares. Citons celui de la pagode de Bài (Hà Son Binh), qui montre  le style populaire des Trân, ou celui de la maison communale de Lô Hanh (Bac Giang, 1576) dont la représentation est plus réaliste.

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Tigre de la maison communale de Lô Hanh (Hà Bac)

1576, estampage.

Les potiers de Chu Dâu, durant le XVe s –XVIe s., ont parfois repris le thème du tigre dans leur répertoire iconographique. Mais là aussi, ce ne fut pas un sujet fréquemment usité. Sur cette plat polychrome retrouvé dans la cargaison du bateau de Hoi An et conservé dans le Musée de Quang Nam, l’animal est représenté parmi les herbes. Sa pose est conforme à l’iconographie des Lê.

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Détail : Tigre, plat polychrome, céramique, Chu Dâu,

XVe-XVIe s., Musée de Quang Nam

Sur le second plat du Musée de Quang Nam, provenant de la même cargaison, le potier innove par une représentation plus originale : le tigre est dressé sur ses deux pattes arrière, tel un humain, s’appuyant sur un bambou. Son allure martiale n’est pas sans rappeler celui que les acteurs de théâtre adoptent pour jouer les mandarins militaires. Ainsi, nous sommes autant en présence du Seigneur Tigre que du Général Tigre.

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Détail : Tigre, plat polychrome, céramique, Chu Dâu,

XVe-XVIe s., Musée de Quang Nam.

Rappelons que cette manière comique voire ironique de représenter des animaux « humanisé » apparaît parfois sous les Lê. L’autre exemple connu est le dragon de Cô Loa qui, d’une main, enroule sa barbe.

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Dragon du Temple de Cô Loa, balustrade de l’escalier,

Pierre, XVIe s.

On notera, sur toutes ces représentations, l’absence sur le front du caractère , vương  (« roi »), en usage en Chine, pour signifier son rôle de souverain de la forêt. Il semblerait que cette pratique n’apparaît au Vietnam que durant la période tardive des Lê comme en témoigne  ce tigre en céramique fabriqué par les ateliers de Bat Tràng durant le règne de Lê Canh Hung (1740-1786).

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Tigre, céramique, Bat Trang, Lê Canh Hung (1740-1786),

Musée d’Histoire du Vietnam, Hanoi.

Cependant, cette pratique ne fut pas généralisée comme en témoigne ce tigre figurant sur l’une des neuf urnes en bronze de la dynastie des Nguyên.

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Tigre sur l’urne dynastique dédiée à Gia Long, bronze, 1835

Temple du Thê Miêu, Cité Impériale de Huê.

Il existe une autre représentation souvent assimilé à tort par les Vietnamiens comme un tigre, tel que cette sculpture en bois de la maison communale de Lô Hanh (Bac Giang, 1576). Il s’agit d’un unicorne, ky lân.

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Détail : Unicorne (ky lân) sur la charpente de la maison

Communale de Lô Hanh, 1576.

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