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Les Carnets de Philippe Truong
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Les Carnets de Philippe Truong
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29 mars 2006

La collection Duong-Hà, Hô Chi Minh Ville, Vietnam

grands_parentsC'est au début des années 1930 que mon grand-père maternel, M. Duong Minh Thoi, débuta sa collection d'art sino-vietnamienne, qui compte aujourd'hui plus de dix mille pièces.

Dès sa création, cette collection n'avait pas uniquement pour objectif de satisfaire la curiosité et le plaisir égoïste de son propriétaire.

Devant le pillage massif des marchands européens pour satisfaire la demande accrue du marché en Occident et les fouilles sauvages entreprises à travers tout le pays (forçant le gouvernement colonial à les interdire), de véritables amateurs entreprirent de réunir des collections afin de préserver des oeuvres d'art dans le pays. Dès 1914, le Père Louis Cadière déclarait devant les Amis de Hué : "Hâtons-nous, je ne dirai pas de collectionner - nous ne sommes pas une société de collectionneurs, bien qu'il ne soit pas mauvais, à l'occasion, de bibeloter - hâtons-nous de décrire, de photographier les rares spécimens qui restent encore, pour en conserver le souvenir. Quel dommage que, pour trouver les plus beaux "bleu de Hué", il faille aller en France et que, même là, tout soit dispersé chez les particuliers"[1]. Jabouille constata avec amertume ce pillage artistique : "Que sont devenus toutes ces oeuvres d'art, ces meubles précieux, ces statues, ces vases, ces potiches, ces bronzes, ces émaux, ces ivoires, ces armes, que sais-je encore, qui faisaient l'orgueil d'une cour somptueuse, qui embellissaient la vie des princes, des mandarins parvenus aux plus hauts grades, des riches négocants ? Poursuivis, saisis, vendus, cédés, troqués, escroqués, ils ont pour toujours et en majeure partie quitté pour jamais l'Annam et l'Indochine, pour aller, filtrés par les salles des ventes de l'Europe, enrichir les collections étrangères"[2].

Le cas de Clément Huet est une parfaite illustration. Belge de nationalité, il faisait parvenir, sous couvert de sa société 2._grand_salon1d'import-export, des milliers de pièces à son frère, antiquaire à Genval. Archéologue amateur, il entreprit des fouilles sauvages et amassa, avant son départ du Tonkin en 1938, plus de cinq mille objets. En 1952, plus de trois mille pièces de cette collection furent acquises par Madame Houyoux pour les Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles. John Pope nota que les "bleu et blanc" de cette collection provenaient des fouilles illégales de Phu Ting Gia (Thanh Hoa) et de Lam Diên (Hà Dông). Elles furent soit entreprises par l'auteur lui-même, soit par des villageois peu scrupuleux qui les lui revendirent.

En 1945, M. Duong Minh Thoi proposa à l'Administration coloniale de concevoir un "Musée Bleu", "afin de doter le pays d'une riche collection unique et uniquement belle", où "un touriste bien guidé après avoir visité cette enceinte, pourrait se faire une idée exacte, précise de la Cochinchine d'hier. Un élève annamite, un Annamitisant qui aurait vu les dessins sur les porcelaines, comprendrait, sans difficultés aucune, les allusions si nombreuses dans les oeuvres littéraires du Vietnam"[3]. Il projetait d'installer ce musée "sur le bord de l'arroyo de l'Avalanche, dans un jardin où ne seraient plantés que des arbres du pays, construire une maison annamite : colonnes en bois de trac, sculptures laquées de rouge et d'or. Là on installerait dans des vitrines de style annamite le collection. Les pièces seraient cataloguées, étiquetées, classées d'après leur usage et leur âge. Là, on installerait également tout ce qui reste de la vieille Cochinchine : panneaux où sont gravées des sentences parallèles, statues, etc.". Il terminait cette proposition par "dans le cas où l'on n'accepterait pas de le faire en grand, par mes moyens personnels très modestes, je le ferai en petit". Son projet reçut le soutien enthousiaste de nombreuses personnalités éprises d'art vietnamien comme Louis Malleret, alors conservateur du Musée Blanchard de la Brosse de Saigon ou d'Henri Maspéro... La lenteur administrative et la guerre mirent fin à ce rêve.

8._les_grandes_pi_ces_de_palais1Pendant des années, jusqu'à sa mort, cet homme réunit une collection de porcelaines de Chine et de Bleus de Huê dans l'espoir de le transmettre aux générations futures et d'en faire un musée ouvert au public pour les initier à l'art et à la culture vietnamienne.

L'absence de céramique vietnamienne s'explique du fait, qu'avant 1975, cet art était inexistant dans le Sud Vietnam, à cause de la guerre, en dehors de quelques familles aisées tonkinoises qui avaient pu émigrer en 1954 avec leurs biens.

Fort heureusement, cette lacune a pu être comblée par les acquisitions que firent sa fille, le docteur Duong Quynh Hoa et son époux, M. Huynh Van Nghi, à partir de 1993, sur mes conseils.

Ainsi, la collection Duong-Ha illustre parfaitement l'art vietnamien des bronzes Dông Son (Ve siècle av. J.C.) aux Bleus de Huê de la dernière dynastie des Nguyên (1802-1945), avec une section consacrée à l'art du Champa, royaume de culture indienne situé au Centre Vietnam, et à l'art chinois.

[1] CADIERE Louis, "Plan de recherches pour les Amis du Vieux Huê", Bulletin des Amis du Vieux Hué, janvier-mars 1914, p. 9.

[2] JABOUILLE P., "Le Musée Khai Dinh", Bulletin des Amis du Vieux Hué, avril-juin 1929, p. 90.

[3] DUONG Minh Thoi, "Les vieilles porcelaines de Chine et les vieux Bleu de Hué", Education, n° 2, septembre 1948, p. 59.


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